Dimanche 13 octobre, en présence du député Guillaume Lepers, la municipalité de Villeréal rendait hommage à Gabrielle Saubestre-Roger, postière de notre village pendant la Seconde guerre mondiale et résistante oubliée de l’histoire locale.


Fille de facteur, Gabrielle Saubestre débute sa carrière d’employée des Postes à Astaffort, où elle est née en 1895. À 20 ans, elle épouse Eloi Roger, qui la suit quelques mois plus tard sur sa nouvelle affectation à Bernay, dans l’Eure. Elle sera par la suite mutée à Pas-en-Artois, dans le Pas-de-Calais, avant d’être nommée receveuse des Postes et Télégraphes à Villeréal, vers la fin 1934. Elle s’installe alors dans le vaste appartement de fonction du bureau de poste, rue de Montaut (l’actuelle rue Delbergé), avec ses deux filles, Gilberte, 18 ans, et Gisèle, 15 ans.


En janvier 1939, l’aînée épouse Max Vigerie, pharmacien ; la cadette se marie un an plus tard à Jean Simard. Toutes deux épaulent leur mère à la Poste. Mais bientôt, après une guerre désastreuse et l’Armistice humiliant de juin 1940, la receveuse que tous appellent ici Madame Roger s’insurge et, forte de ses compétences techniques et de sa position stratégique, elle se donne une nouvelle mission : “Dès 1940, ne pouvant supporter les ordres de Vichy, elle sabotait tout ce qu’elle croyait nécessaire”, souligne son dossier conservé au Service historique de la Défense.
 

Agent de liaison et de renseignement

Il en fallait du courage, en ces temps de désunion et de délation, pour épier les conversations téléphoniques des Allemands, de la gendarmerie et des organismes de Vichy afin de renseigner les patriotes qui commençaient à s’organiser dans le canton. Au besoin, prenant tous les risques, elle savait aussi couper opportunément les communications de l’ennemi, le temps de prévenir les
maquis, dont elle devint peu à peu l’oeil et l’oreille.

 

Du courage, aussi, pour intercepter et jeter au panier les courriers de dénonciation, souvent anonymes, adressés aux autorités. Du courage, encore, pour faire, très littéralement, du bureau de Poste la boîte aux lettres des différents groupes résistants villeréalais (le réseau Hilaire-Buckmaster et les groupes Vény du secteur, notamment) et, le soir venu, y accueillir leurs réunions. Et tout cela, au nez et à la barbe du chef de la milice locale, établi à cent mètres de là.
 

Combien de vies, déjà, a-t-elle ainsi sauvées ? Elle en sauvera d’autres encore, car son engagement ne s’arrête pas là : elle ne craint pas d’héberger des maquisards blessés ou traqués et, après la mise en place du STO (Service du travail obligatoire) en février 1943, elle aide à constituer un Comité clandestin pour répartir les réfractaires dans des fermes et maisons amies des environs et organiser leur ravitaillement.
 

En janvier 1944, au péril de sa sécurité et de sa vie, elle cache chez elle pendant six mois des FFI évadés de la centrale d’Eysses promis à la déportation ou au poteau d’exécution. Et le 6 juin 1944, lorsque les maquisards sortent de l’ombre pour répondre à l’ordre d’insurrection, elle est encore aux premières loges : c’est elle qui assure la liaison entre les groupes et leur envoie les “égarés” désireux de prendre les armes.

Une Juste méconnue

Gabrielle Roger fut également de ces nombreux Justes anonymes qui sauvèrent des Juifs persécutés. En 1942, alors que la Gestapo avait investi la zone dite “libre”, c’est elle qui trouva un foyer sûr à une famille juive originaire de Lorraine réfugiée à Villeréal : les Rotholz – une dizaine de personnes qu’elle trouva à loger dans le village, d’abord, avant de les diriger vers la ferme de Laplagne, chez les Bouscaillou.

Il y avait là un bébé né en novembre 1943, Éliane, qui, 81 ans plus tard, évoque encore le havre de Villeréal avec émotion. Elle se rappelle cette voisine qui prêta une valise pour lui faire un berceau. Elle parle de son père, Henri, entré dans les FFI ; de sa tante Hélène, qui s’improvisa infirmière à l’hôpital clandestin de Mérigou ; et aussi de ce cousin de sept ans, Joseph Portigheis, venu en visite avec sa mère et son petit frère, et qui refusa de rentrer à Nice avec eux. Bien lui en prit : en décembre 1943, les siens furent raflés et périrent à Auschwitz. Il fut l’unique rescapé.

Joseph est revenu à Villeréal vers 1973 pour remercier celle qui le sauva. Mais Gabrielle était décédée en 1949. En 1970 et 1993, Éliane aussi a fait le pèlerinage pour honorer la mémoire de Madame Roger.
 

“C’est une merveilleuse récompense de penser qu’ils n’ont pas oublié et que ce souvenir s’est perpétué”, écrira Gilberte Vigerie en évoquant ces retrouvailles. Un descendant des Rotholz a rendu dans un texte mémoriel un bel hommage à tous les “petits Justes” de Villeréal, souvent ignorés : “Ma famille a été, comme beaucoup d’autres, gravement touchée lors de la Shoah. Si certains échappèrent à la mort, ce fut souvent grâce à des êtres de grande noblesse et toujours par un petit miracle entre hasard et destin. Dans ce petit village, havre qui accueillit des membres de ma famille, vivaient des Braves : tous savaient qu’ils étaient juifs. Mais ils ne dénonçaient pas ! Ce tout petit bourg, si digne, portait bien son nom de Ville Royale.”

Membre du comité de Libération de Villeréal, Gabrielle Saubestre-Roger a été décorée à titre posthume de la médaille de la Résistance. Le dimanche 13 octobre 2024, la Municipalité de Villeréal et l’Association du Devoir de Mémoire du Pays Villeréalais (ADMPV) lui ont rendu  hommage lors d’une cérémonie au cours de laquelle a été dévoilée une plaque commémorative sur la façade de la Poste.